samedi 11 janvier 2014

Sur l'affaire Dieudonné


            Dieudonné est antisémite. En tant qu'admirateur de l'artiste depuis de nombreuses années, c'est une conclusion à laquelle il m'a été très difficile d'arriver, mais qui est la mienne aujourd'hui. La battage médiatico-politique n'y est absolument pour rien. Bien au contraire, il a plutôt eu tendance à m'exaspérer et à me braquer à cause dela vacuité des articles et autre déclarations au vol de mauvais éditorialistes surfant sur la vague du buzz.
J'ai décidé de mener moi même ma petite enquête, puisque les journalistes ne savent plus faire leur métier.

Peut-on rire de tout ? Ou les limites de l'humour en France

            La liberté d'expression en France, contrairement par exemple aux Etats-Unis, est limitée légalement. On n'a par exemple pas le droit de nier l'existence de la Shoah. On peut débattre du bien fondé de cette loi, les américains considérant que la liberté d'expression est au dessus de tout (et je pense qu'un négationniste aujourd'hui passe tellement pour un fou et trouve tant d'arguments contre lui qu'il ne représente de toute façon pas un danger). Cependant, le fond du problème n'est pas là : la loi existe et il faut faire avec.

            Le vrai problème se pose quand on parle d'humour. L'humour est évidemment loin d'être universel. Certains aiment rire de choses simples alors que d'autres ne jurent que par l'humour noir et l'humour qui touche aux tabous. Comment poser la limite, faire la distinction, entre des propos humoristiques qui tournent en dérision des propos illégaux, et des propos illégaux ? Peut-on interdire à quelqu'un de rire d'un sujet sous pretexte que ce sujet fait pleurer quelqu'un d'autre ? Si on commence à interdire de rire d'un sujet on ouvre la porte à toutes les dérives . Pourquoi interdire de rire de la Shoah si on peut rire de la guerre ou de l'esclavage ? Elie Semoun avait fait un excellent sketch sur un enterrement où il disait à propos d'un four crématoire "c'est de marque allemande, ils ont fait leurs preuves". Doit-on interdire le sketch sous prétexte qu'il peut blesser à la fois les allemands et les victimes de la Shoah ?

            Il est à mon avis très dangereux de vouloir poser une limite ou un cadre juridique à l'humour, car chacun a sa sensibilité propre et ses limites sur le sujet.

            Là encore, la classe médiatique et politique a fait énormément de mal au débat, nous martelant pendant des semaines qu'on ne pouvait pas rire de tout, que certains sujets étaient trop sensibles, et que rire de la Shoah était antisémite. Je ne citerai pas tous les éditorialistes qui nous ont fait la morale ces dernières semaines, je reviendrai simplement sur ce qu'a dit Manuel Valls au Grand Journal :

"Que des gens aillent à des spectacles où on rigole de la Shoah, des crimes contre l'humanité, du racisme, je dis que dans la France du XXIème siècle, ce n'est pas possible".

            Pour le ministre de l'intérieur, on ne peut donc plus rire du racisme en France au 21ème siècle ? J'ai été effaré que personne ne s'indigne de ce genre de propos, alors qu'on a justement en France une grande tradition d'humoristes qui ont ri du racisme et des crimes contre l'humanité, et qui ont fait un bien énorme à la lutte contre le racisme. Comment tolérer que cet homme soit encore ministre de l'intérieur ?
Comment tolérer que tant de journalistes essaiment les mêmes propos dans l'indifférence générale ?

Retour sur le parcours de Dieudonné : de l'anti-raciste au racisme.

            Dieudonné a commencé, comme on le sait, en duo avec Elie Semoun. Ils étaient à l'époque des symboles de la France Black-Blanc-Beur qui semblait promise à un avenir loin du racisme et des divisions communautaires. Dieudonné s'est d'ailleurs engagé contre le Front National de Jean-Marie Le Pen et semblait être un anti-raciste au dessus de tout soupçon (comme Desproges et Coluche à qui on le compare beaucoup aujourd'hui).
La pensée de Dieudonné à l'époque est bien résumée dans une interview donnée à Thierry Ardisson en 2002, suite aux premières accusations d'antisémitisme : 


-"Pour moi, catholique, juif, musulman, ça n'existe pas. L'humanité est une et indivisible"
-"Je refuse de voir, dans le regard de l'autre, autre chose qu'un humain"
-"Si je suis anti-communautariste, j'ai le droit de le dire".
-"Juif, comme catholique, comme musulman, est un concept virtuel qui n'a plus de raison d'être"
Tout le monde en parle, 23 mars 2002

            En 2005, il déclare également chez ce même Ardisson "il y a un repli communautaire extremement dangereux au sein de la république, il faut faire attention"

            Beaucoup se reconnaissaient alors dans ce discours humaniste et idéaliste d'un homme laïque qui souhaitait supprimer les frontières entre les communautés.

            Il serait trop long de revenir en détail sur la chronologie de l'évolution de son discours depuis 2002, d'autant que Dieudonné a habilement maintenu l'ambigüité de celui-ci. J'ai simplement décidé de décrypter ses déclarations le 8 février 2011, sur la chaîne iranienne Sahar TV : 


-"Mon dernier spectacle, Mahmoud, en l'honneur de votre président"
Pour quelqu'un qui accuse Valls de baisser son froc devant le Crif, quelle belle façon de baisser le sien devant un dictateur.

-"Le malin, le sionisme, tente de récupérer..."
-"Il est très important que les chrétiens arrivent naturellement dans l'islam, parce-que c'est le chemin naturel de la révolution qui est en train de s'organiser."
-"Il n'y a que ce chemin là qui nous conduira à l'unité"
-"La religion a disparu de notre système pour être remplacée par le sionisme."
-En parlant du sionisme"C'est le malin, le vice, et le mensonge [...] c'est la recherche de la manipulation et du mensonge [...], la perversion et le racisme."
-"Il n'y a pas plus bête, il n'y a pas plus menteur que le sionisme. Le sionisme, c'est ce qu'il y a de plus mauvais qu'on a en nous, c'est les instincts les plus bas [...] il vous écrase, il vous domine, il fait de vous un esclave."
-"Quand on naît en France, vous apprenez à l'école le sionisme, vous travaillez pour le sionisme, vous vous soumettez au sionisme, ça devient même votre religion, vous êtes prisonier, esclave du sionisme."
-"Un sioniste c'est un tricheur par excellence"
-"Le sionisme a tué le christ"
-"Mon fils est impressionné de voir un pays deboût [l'Iran] comme ça, fier."
[-Sur le sionisme]"Il y a quelque chose de lumineux qu'il n'a pas au fond de son regard. [...] On resent le sionisme dans le discours et dans le coeur des gens"
-"Les chrétiens doivent rejoindre l'islam, l'islam ouvert, cet islam moderne qu'a lancé Khomenei".

            C'est pour moi l'interview la plus significative de l'évolution de sa pensée, puisqu'il peut se permettre de dire en Iran des choses qu'il n'ose pas dire en France. Il est assez impressionnant de voir comment, en quelques années, ce discours anti-communautaire et laïque s'est transformé au contraire en un dicours qui tient de la propagande religieuse.
            Mais c'est surtout, et c'est pour moi le plus choquant, la preuve d'une véritable paranoïa face au sionisme. Pour Dieudonné, le Sionisme incarne le mal absolu, et chaque sioniste représente pour lui l'incarnation de ce mal irrécupérable. Dieudonné devient raciste quand, au lieu d'être anti-sionisme, il devient anti-sioniste.
            Dieudonné se bat pour qu'on cesse de différencier un antisémite d'un raciste, et il a raison. Dieudonné n'est pas antisémite, mais bel et bien raciste anti-sioniste. (L'accroche de cet article étant par conséquent un abus de langage qu'il faudra éviter à l'avenir pour éviter tout amalgame et gagner en précision).

            Les raisons de cette évolution dans son discours sont obscures, on pourra dire qu'il s'est borné dans son discour par esprit de contradiction, d'opposition. Il est têtu, c'est son côté Breton dit-il. Mais il est probable que son entourage ait été responsable de cette dérive. Je crois qu'en abandonnant Dieudonné en 2003 face à la polémique du sketch chez Fogiel, ses anciens amis ont ouvert la porte à une récupération de Dieudonné par certains extrémistes, Soral en tête, ce qui a participé à sa radicalisation progressive.

            Pour finir sur ce point, je finirai sur une note d'espoir. C'est peut-être mon côté fan de Star Wars qui aime croire qu'il reste du bon en Dark Vador, mais j'espère encore que Dieudonné se rendra compte un jour de ses erreurs et aura le courage de les admettre. Ses convictions profondes ne sont pas racistes, même si sa paranoïa (qui est une peur disproportionnée de l'autre), l'a mené à une forme de racisme sans qu'il s'en rende compte.


Les méthodes de combat de Valls et des médias contre Dieudonné seront contre-productives à long terme.

            J'ai été très choqué d'entendre à de nombreuses reprises crier au et fort, Christophe Barbier en tête, que la Quenelle était antisémite et que ça ne pouvait même pas se débattre ou que chaque personne faisant une quenelle était par conséquent antisémite.

"un spectacle raciste et antisémite, comme tous ceux qui font le geste de la quenelle."
 -Manuel Valls.

            C'est un raccourci extrèmement dangereux qui est fait ici, car il insulte de nombreuses personnes pour qui la quenelle n'est qu'un geste outrancier, et qui risquent de se braquer du côté de Dieudonné parce-que la classe politico-médiatique leur ferme de facto la porte.
            On lit à tort et à travers que ce serait un salu nazi inversé. Mais ce geste mime, depuis sa genèse, un fist fucking (la première apparition du geste date de 2005 dans un sketch où un dauphin nous mettait sa nageoire "jusque là"). N'étant pas un expert en la matière, je peux néanmoins imaginer qu'un bras tendu vers le bas soit une bonne manière de mimer l'acte.
            L'autre argument avancé contre la quenelle est qu'elle a été faite devant des synagogues, devant Auschwitz, ou des écoles juives. Ces gestes sont bien sûrs antisémites et condamnables, mais si un bras d'honneur avait été fait à la place, aurait-il pour autant fallu interdire le bras d'honneur ?
            Les photos de quenelles antisémites sont une infime minorité par rapport aux miliers de photos qui existent sur internet. On a d'ailleurs vu que 3 ou 4 photos litigieuses tourner en boucle. Faut-il pour autant condamner tous les auteurs de quenelles à cause de quelques idiots ?
            De même, quand on insinue que quiconque irait voir Dieudonné serait complice d'antisémitisme. Prend-on les gens pour des imbéciles au point de penser qu'ils ne seraient plus capables de recul sur ce qu'ils entendent ? Faut-il créer une comission pour déterminer ce que le peuple est capable de comprendre ? Pas très démocratique tout ça.
            Enfin, je ne reviendrai pas sur les déclarations comme quoi Dieudonné ne serait plus un humoristes, et qu'ils ne ferait plus rire personne, elles sont sufisamment bêtes et il y a trop de choses à dire pour que je ne m'étale pas dessus.

            Par ailleurs, j'aimerais souligner le fait que les méthodes employées par les médias d'un côté, et par Manuel Valls de l'autre, contribuent à faire le jeu de Dieudonné en le victimisant :
            -Les médias en sortant systématiquement ses propos de leur contexte, en volant une partie ou l'intégralité de son spectacle et en le diffusant à la télévision et sur le net.
            -Manuel Valls avec sa circulaire, qui ignore les précédentes décisions de justice prises en faveur de Dieudonné face aux arrêtés, puis en saisissant le conseil d'état en urgence (chose rarissime et probablement illégale dont on entendra parler dans les prochains jours) à un horaire qui n'a pas permis à Dieudoné d'organiser sa défense (son avocat étant à Nantes pendant l'audition).

Pourquoi interdire le spectacle est bête et méchant

-Parce-que ça donne l'image qu'on ne peut rire que si Manuel Valls approuve la blague.
-Parce-que Dieudonné va utiliser ça pour étayer ses arguments contre un lobby sioniste tout puissant.
-Parce-que ça va créer encore plus de divisions communautaires, en frustrant les spectateurs de Dieudonné. Les plus fragiles intellectuellement feront vite le raccourci : Dieudonné interdit --> Les juifs et les médias m'interdisent de rire.
-Parce-qu'il faut distinguer la vie et l'œuvre. Sinon, interdisons aussi les publications de Céline, Brasillach, ou même de Walt Disney.
-Parce-que c'est un spectacle d'humour et que l'humour est un vecteur d'apaisement. Rire des plus grands malheurs a un effet de catharsis, que ça choque ou non.

Pourquoi rit-on aux blagues de Dieudonné ?

            C'est une question que j'ai beaucoup entendue, et je comprends que ce soit un mystère pour certains qu'on puisse rire des plus grands malheurs de l'humanité. Bien qu'il soit très difficile d'expliquer la mécanique du rire, je me risquerai néanmoins à une explication :

            Dieudonné, depuis 2003, a tendance a beaucoup parler de juifs et de sionisme. Il sait pertinamment qu'il est critiqué pour ça, et le fait de transgresser ce tabou encore et encore a un effet jubilatoire pour le spectateur. Au delà du comique de répétition, le spectateur se dit à chaque fois qu'il ne peut plus en rajouter, mais il en rajoute quand même. Dans une société très légiférée et où beaucoup se plaignent qu'il y a trop d'interdits, la transgression par l'humour est un soulagement pour le spectateur qui y voit un dernier espace de liberté inconditionnelle.

            Je reviendrai par ailleurs sur certains des propos qui ont le plus été sujets à polémique. Je ne cherche pas ici à les légitimer, mais simplement à les mettre en perspective, chose qui n'a pas été faite dans les médias. Je sais par que ce que je vais dire sera sujet au débat et me vaudra des critiques, je vous serai donc reconnaissant de modérer vos commentaires et d'argumenter vos propos à ce sujet.

            Quand Dieudonné fait monter Faurisson sur scène, il lui décerne le prix de l'infréquentabilité. Le terme infréquentable n'est tout de même pas très flatteur. En plus de ça, il se moque de celui-ci et de ses thèses farfelues, en rappelant que Faurisson ne nie pas seulement la Shoah, mais aussi la traite des noirs, et Dieudonné de conclure que Faurisson nie tout en bloc quel que soit le sujet. On est loin de l'apologie du négationnisme que nous ont vendu les médias.

            Quand Dieudonné interprète un officier Nazi complètement fou et lui demande si il compte "fabriquer des savonettes avec le gratin du show buziness français", tourne-t-il en dérision le nazisme en se moquant de son personnage, ou fait-il l'apologie d'un crime contre l'humanité ? La blague est certe de mauvais goût et il aurait pu en trouver une meilleure pour servir son sketch, mais le personnage étant très clairement tourné en ridicule, je ne crois pas qu'on puisse accuser Dieudonné d'être d'accord avec son personnage.

            Concernant les propos sur Patrick Cohen :
" Moi, tu vois, quand je l'entends parler, Patrick Cohen, j'me dis, tu vois, les chambres à gaz... dommage..."
Sans revenir sur le caractère nauséabond du propos, je pense en revanche qu'il n'est pas antisémite : il faut distinguer, selon moi un propos tenu contre une personne en raison de son origine, ce qui est raciste, et un propos contre une personne qui utilise son origine d'une personne pour l'attaquer. C'est petit, c'est lâche, mais ce n'est à mon avis pas la preuve d'un racisme sous jascent. Pardonnez moi par avance le parallèle simpliste, mais ce n'est pas parce-qu'on attaque un gros sur son physique qu'on est forcément anti-gros. Dieudonné devrait toutefois être condamné pour ces propos puisqu'ils incitent au crime.

En Conclusion

Le battage politico-médiatique de ces dernières semaines a fait beaucoup de mal a la société française. Entre des politiques qui donnent l'impression de brasser du vent pour cacher des problèmes plus importants, des journalistes qui n'ont, dans leur grande majorité, pas fait leur travail, et des personnalités du monde de l'humour qui ont été pour la plupart très silencieuses sur le sujet, le fossé s'est creusé entre les français et ceux qui aspirent à exercer de l'influence sur le pays. Je tiens néanmoins à saluer les quelques exceptions qui ont tenu des propos mesurés et construits sur le sujet : je pense à Alexandre Astier, Plantu, Jack Lang, Eric Zemmour, Elisabeth Levy, Geoffreoy Lejeune, Eric Naulleau qui a compris qu'on ne se battait que par le dialogue, et j'en oublie probablement beaucoup.

Les évênement récents me font craindre une dégénération de la situation si on continue à faire de Dieudonné un martyr. Combattons ses idées sur le fond, laissons lui s'expliquer dans les médias, ce sera le meilleur moyen de lui opposer de vrais arguments, et qui sait, de l'aider à modérer son propos. La paranoïa ne se soigne pas par la peur.